Analyse et Décryptage
... et Décryptage : Analyse au vol SCAFophonie
Quand la cacophonie est de mise comme sur le dossier du SCAF depuis de longues semaines, apportant son lot de hauts et de bas, comme au yoyo, avec ses disputes et ses tentatives de réconciliation, il est bon que des experts, posés, sensés, éclairés, viennent nous apporter leur analyse pertinente, sans crier avec les loups, sans anathèmes ni invectives, avec le bon sens qui manque souvent aux passions.
C’est ce que fait Gérard Briard dans sa note éclairante sur les systèmes de systèmes [Lettre TBM n°47 du 01/12/2025 ] qui peut sans mal s’appliquer au programme SCAF et à ses différentes composantes dont celle de sa composante aéronef NGF. Ingénieur et gestionnaire, Gérard, qui fait partie des fondateurs d’ID Aero+, a longtemps travaillé à la DGA (qui était la Délégation Générale à l’Armement avant de devenir Direction), notamment comme responsable du bureau des moteurs et équipements aérospatiaux mais aussi à la DCN (non encore devenue DNCS puis Naval Group aujourd’hui), la Direction des Constructions Navales. Dans sa longue carrière, il s’est aussi occupé d’électronique, d’investissements étrangers, de restructuration.
Autant dire que son avis est précieux. D’autant que ses talents didactiques nous permettent de sortir des verbiages fréquents des soi-disant «experts ». Avec lui, on comprend rapidement ce qu’est un système de systèmes : un avion de combat avec son ravitailleur, ses appareils d’escorte, ses systèmes radars au sol ou embarqués, un porte-avions avec ses navires d’escorte, frégates, ravitailleurs, etc. Idem pour un sous-marin nucléaire avant qu’il ne se dissolve « dans la mer jolie ».

Alors, quand certains acteurs ou observateurs, pour tenter de trouver une fausse porte de sortie aux dissensions sur le SCAF – qui cachent mal la volonté de certains, notamment outre-Rhin, de tenter de récupérer une partie du savoir-faire, unique en Europe, de Dassault en matière de conception d’avion de combat et de son système de commandes de vol et d’armement – parlent de décorréler le SCAF du NGF, donc de faire un système de systèmes de combat aérien… sans avion ou avec chacun le sien, on ne peut réprimer un sourire ou une larme.
Quand les mêmes ou d’autres essayent de camoufler ce scénario bancal en parlant d’un « cloud » européen, c’est ne rien comprendre à ce terme qui impliquent le partage d’informations – et non la simple interopérabilité comme cela existe depuis des décennies au sein de l’OTAN ou via le SCCOA, système de commandement et de conduite des opérations aériennes.
Qui dit partage d’informations dit partage de souveraineté. Or, dans ce domaine, tant qu’il n’existe pas une véritable politique de défense (et étrangère au passage) dans l’Union européenne, cela semble relever de l’utopie ou d’un concept fumeux.
Le fait que la France, qui est la seule en Europe, à disposer d’une véritable autonomie stratégique, ait été montrée du doigt dans cette affaire et que ses « partenaires » sur le SCAF, Allemagne, Espagne, Belgique, aient, eux, tous des liens avec Washington pour leurs choix militaires – y compris l’achat d’avions de combat comme ils l’ont prouvé par le passé – ne peut tenir du simple hasard.

Tout ce galimatias ressemble fort à une tentative des différents protagonistes de sauver la face et de maquiller un éventuel divorce - moyennement - à l’amiable en évolution tactico-stratégique à la crédibilité très moyenne. Sauf s’ils parviennent in extremis à un accord comme d’aucuns semblent encore y croire.
Cette tentative est pourtant loin de répondre à toutes les questions. En séparant le NGF (dont la France se devait de garder le leadership indiscutable) du SCAF, les équilibres de ce dernier seraient-ils réexaminés au profit des Français dont les compétences en matière de logiciels et de systèmes d’information sont, elles aussi, incontestables ?
Bref, s’ils refusent d’adopter un système laissant la maîtrise d’œuvre au plus compétent, donc Paris pour le NGF, les partenaires européens du SCAF seront encore une fois en train de démontrer les affres de la prétendue coopération en matière d’armement (et de spatial, au passage) assortis des hérésies de la loi du « juste retour ». Le seul aspect positif de toute cette affaire, c’est s’ils mettent fin aux appétits inacceptables de ceux qui voudraient retirer à Dassault son évident leadership en matière d’avion de combat en Europe, savoir-faire qu’il est peut-être le dernier à encore maitriser de bout en bout. Des appétits que certains arbitrages politiques auraient pu nourrir au détriment des intérêts fondamentaux de la France.
Reste que ce divorce éventuel SCAF/NGF ouvrirait d’autres questions, et notamment celle du moteur, aspect essentiel du programme qui avait déjà causé le divorce précédent entre le Rafale et l’Eurofighter Typhoon., Rolls-Royce risquant sinon de marginaliser Snecma.
Le puissant moteur du NGF devait passer par une coopération entre Safran Aircraft Engines (ex-Snecma), auteur des réacteurs M88 du Rafale, avec l’allemand MTU. Si le NGF sort du SCAF, que va-t-il advenir ? Faudra-t-il poursuivre les travaux avec MTU ou chercher une alternative et si oui laquelle ? Rolls-Royce, seul véritable prétendant proche de nous, ou regarder plus loin, par exemple vers l’Inde où Safran AE négocie actuellement un accord de partenariat avec le GRTE en vue du co-développement d’un turboréacteur militaire d’une poussée de de la classe des 120 kN.
Dans ce cas, la notion d’appareil « européen » aurait plus que du plomb dans l’aile – sans mauvais jeu de mots. Mais si l’on veut se dire la vérité, n’est-ce pas le cas depuis le début ?
Pierre Orlan