Les jours du SCAF sont-ils comptés ?
Nos lecteurs ont peut-être gardé en mémoire notre étude sur les aéronautiques militaires européenne et française diffusée dans notre revue TBM de juin 2023. Nous y prédisions l’aboutissement inéluctable du SCAF, par cette phrase : « Alors, chacun rentrera chez soi et construira l’avion de Défense qui lui convient. »
Eh bien, c’est à peu près ce qui se dessine aujourd’hui.
Il semble que l’impasse du SCAF apparaisse désormais aux yeux des décideurs de chaque côté du Rhin. Nous en voulons pour preuve cette déclaration du député Christoph SCHMID membre de la Commission de Défense du Bundestag : « Ce ne serait pas une catastrophe pour l'Allemagne et la France de se séparer maintenant si c'est dans l'intérêt national ou européen ».
Voilà une opinion que nous partageons. Ne dépensons pas plus d’argent pour un programme mal né, voué à l’échec. Que chacun rentre chez soi et construise l’avion qui lui convient. Cela reviendra, au global moins cher et aboutira à des avions répondant aux besoins de chacun.
Pour montrer la convergence des opinions sur la fin probable du SCAF, vous trouverez dans les pages suivantes, un extrait de notre revue TBM de juin 2023 et quelques extraits de l’article de Charles Plantade publié dans les Echos du 28 août 2025.
CE QUE DISAIT ID AERO EN 2023
Le plateau NGF/SCAF
Dans le cas du NGF/SCAF, nous l’avons vu, l’expression des besoins exprimés par les États-Majors est irréalisable. Certaines demandes françaises comme l’avion polyvalent, navalisable, librement exportable et apte à l’emport de l’arme nucléaire, ne figurent pas dans les besoins allemands. Qu’importe, les États veulent un avion… Ils ont débloqué un budget de 3 milliards. Alors que les industriels se débrouillent à trouver les spécifications d’un démonstrateur à tout faire. Ils ont trois ans devant eux.
Ingénieurs, spécialistes, techniciens doivent résoudre une sorte de quadrature du cercle
Les équipes Dassault, maître d’œuvre, et Airbus Defence vont tenter de définir les caractéristiques d’un démonstrateur pouvant satisfaire à la fois les besoins français et allemands : quadrature du cercle.
Comment trouver : la formule aérodynamique, le moteur, le système de navigation et d’attaque, les emports, les performances, les signatures répondant à des besoins aussi différents, contradictoires ? Habituellement, on cherche l’avion optimal en itérant la masse, la poussée moteur, la surface voilure, la taille, les formes et les performances… Dans le cas du NGF/SCAF, on risque d’itérer à l’infini.
Le mariage de la carpe et du lapin
Au cours des discussions, vont apparaître des difficultés, pour marier la carpe et le lapin.
L’équipe France voit un avion polyvalent « léger » dans la lignée du Rafale. Ce besoin correspond à l’hexagone, au littoral maritime, aux DOM-TOM, à la présence en Afrique, dans le Pacifique.
L’équipe Allemagne voit un avion de défense « lourd » dans la lignée du Tornado et de l’Eurofighter. Son besoin correspond au danger unique qu’elle voit à l’Est.
Comme le contrat ne prévoit pas de faire deux avions, mais un seul, il faudra choisir.
C’est l’option française qui l’emportera.
Les Allemands ne voudront pas rompre, mais reviendront à la charge.
La construction du démonstrateur
Cette phase d’étude s’achèvera vers 2026. À cette date se posera la question de la construction du démonstrateur et du budget correspondant. Question difficile. En particulier pour les Allemands.
S’ils continuent de financer le démonstrateur du NGF/SCAF, ils financeront un avion considéré comme français ne répondant pas à leurs besoins.
S’ils renoncent au programme, ils prennent le risque de dégrader leur image d’Européens.
Selon une vieille stratégie qui leur réussit, ils vont conditionner leur financement à une modification du démonstrateur. Il en résultera un avion hybride, ¾ Rafale ¼ Typhoon qui ne plaira à personne.
Alors, chacun rentrera chez soi et construira l’avion de Défense qui lui convient.
TBM_2023_juin_extraits_aviation_militaire_ae373308fd.pdf
CE QUE DIT LA PRESSE EN 2025
Avion de combat du futur : pourquoi le projet franco-allemand SCAF risque de s'enliser
Alors que doit se tenir ce vendredi à Toulon un Conseil des ministres franco-allemand, l'avenir de ce programme est dans tous les esprits. Aucune décision ne sera prise avant la fin de l'année, a toutefois prévenu le chancelier Friedrich Merz. (Les Échos Par Charles Plantade Publié le 28 août 2025 à 18:39Mis à jour à 06:20)
Le SCAF a du plomb dans l'aile…
…Le processus « ne peut pas durer indéfiniment », il est impératif de « sortir de l'impasse et prendre de la vitesse, car ce projet ne tolère plus aucun report », a encore insisté, ce jeudi, le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius.
« A trois, c'est compliqué »
. « Bien qu'engagé dans le même bateau, la France et l'Allemagne n'ont pas les mêmes besoins, donc pas la même vision du programme », souffle une source militaire.
Il y a de la friture sur la ligne à propos du NGF. Et des deux côtés du Rhin, les industriels tirent la sonnette d'alarme.
Auditionné par l'Assemblée nationale en avril dernier, le patron de Dassault Aviation Éric Trappier avait critiqué la gouvernance tricéphale du projet.
Dassault plaide pour un leadership unique, dénué de toute entrave décisionnelle, notamment pour avoir la liberté de choisir lui-même ses sous-traitants.
« Selon Dassault, il faudrait choisir les sous-traitants rationnellement, seulement sur leurs compétences industrielles, et non pas selon des critères égalitaires entre les pays ». L'industriel français « s'estime en mesure de développer seul le NGF ». « A trois, c'est compliqué », avait en effet prévenu Eric Trappier en avril dernier.
Des mises en garde à Berlin
Une volonté d'indépendance qui ne manque pas de faire tiquer Berlin. Pour Friedrich Merz, l'exigence de l'entreprise mère du Rafale « ne rend pas les choses plus simples ».
Dans un document cité par Reuters, le ministère allemand de la Défense reproche explicitement à l'industrie française de bloquer la prochaine phase de développement du programme.
Certains parlementaires allemands n'envisagent pas d'un mauvais œil l'abandon du projet. « Ce ne serait pas une catastrophe pour l'Allemagne et la France de se séparer maintenant si c'est dans l'intérêt national ou européen », avance Christoph Schmid, député social-démocrate, membre de la commission de la Défense. Pour lui, la désertion de l'Allemagne pourrait même servir de base à l'examen d'autres options pour le développement d'avions de combat d'ici le milieu des années 2030.
CONCLUSION
Tout porte à croire que les jours du SCAF, programme « politique », mal-né, lancé sans fiche -programme claire, soient aujourd’hui comptés. Nous partageons l’opinion du député allemand cité plus haut : ce ne serait pas une catastrophe pour la France et l’Allemagne, bien au contraire.